JMG Le Clézio : un recueil de onze nouvelles
Référence : JMG Le Clézio, La ronde et autres faits divers, éditions Gallimard, 1982, Folio, 1990, 282 pages

Onze faits divers qui paraissent assez banals : des jeunes filles fugueuses, violée, accidentée, un enfant voleur, une femme seule et enceinte, des expatriés… derrière ces faits se profile la douleur, les souffrances humaines dominées par la solitude, la répression, l’injustice et adoucies par une grande humanité.

        

Ce sont des souvenirs qui surgissent du fond de l’enfance.
Il y a le destin, espèce d’inéluctable auxquels sont soumis ces êtres dominés par la vie, le visage ravagé de Christine après le viol, les motards anonymes aux casques redoutables, celui de Tayar échappé qui fuit les hommes jusque dans cette contrée aride et déserte où ils finissent pourtant par le rattraper, celui de Liana enfermée dans sa solitude qui accouche loin de tout, dans son mobile-home et réussira à rejoindre l’eau apaisante du fleuve, celui de Sarah ravagée par les bulldozers qui ravagent la nature et ses souvenirs, celui de David qui veut fuir son univers de misère et de béton.

Tayar dans son délire semble revoir, reconnaître dans cet enfant qu'il aperçoit, l'enfant qu'il fut lui-même : « Il le connaît bien, il le reconnaît. L’enfant lui ressemble, il est tout à fait comme un reflet de lui-même. Il porte les mêmes habits, la longue tunique de laine effilochée autour du cou, qui flotte sur son corps maigre et dessine la forme de ses jambes. Il est pieds nus sur les pierres aiguës, et ses cheveux bougent dans le vent, noirs et brillants comme l’herbe » (p.77)

Son héros dans la nouvelle Le jeu d'Anne, hanté par le souvenir d'Anne, est pris entre regrets et nostalgie : « C’est ici, pense-t-il, c’est ici, c’est ici… Ici quoi ? Il ne sait pas. L’enfance, l’adolescence peut-être, quand il réalise ce qu’il n’a pas osé faire, courir à travers les broussailles avec une fille, puis rouler tous deux sur la terre brûlée, odorante, parmi les arbustes qui déchirent les vêtements, qui font jaillir les perles de sang sur la peau » (p.143)

    

Il y a la ville, son béton, son asphalte, son entassement, tout ce qui ronge la vie, grignote la nature, détruit l’harmonie ancienne, condamne la villa Aurore, son parc et ses chats errants, entraîne Christine, Martine et d’autres dans une ronde létale, poussières de temps dans une terre qui tourne, qui ponctue sa ronde d’un rythme immuable et indifférent.

Il y a encore ce sentiment de solitude qui domine, celle des lieux désolés, Tayar mourant dans la montagne, celle du cœur quand les souvenirs affluent, un an après, et qu’il ne peut oublier sa chère Anne, celle de la ville anonyme où l’on meurt également seuls ; Marie Doucet dans sa villa, son domaine avalé peu à peu par la ville et la spéculation…
Cette villa Aurore n'a plus rien à voir avec ce que la narrateur a connu :
« elle n’avait plus sa couleur d’aurore. Maintenant, elle était d’un blanc-gris sinistre, couleur de maladie et de mort, couleur de bois de cave, et même la lueur douce du crépuscule ne parvenait pas à l’éclairer » (p.121)

  La ronde lue par Bernard Giraudeau

Les individus que dépeint Le Clézio dans cette chronique douce-amère, ne sont pas vraiment bien dans leur peau. Quelque chose de leurs sentiments, de leur jeunesse s’est délitée, cassée ; ils sont hantés par leur passé, par ce qui ne reviendra plus, sans perspectives d’avenir, sans espoir. Leur environnement est fait de béton, de travail sans intérêt, de contraintes, avec le système qui domine et les domine.

* Voir mes articles consacrés à JMG Le Clézio :
- Le Clézio prix Nobel 2008, avec présentation de Désert et de Ritournelle de la faim --
- L'homme et son œuvre avec présentation de ses oeuvres suivantes : Le procés-verbal, Révolutions, Onitsha, Ritournelle de la faim, le Mexique et Diego et Frida, la trilogie mauricienne.
- Le Clézio, passeur des arts et des cultures
par A.G. Leduc - Voyage à Rodrigues -
- Le Clézio et l'attentat de Nice
-- La ronde et autres faits divers --

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